Vendredi, pour la première fois depuis soixante-cinq ans, les États-Unis participeront à la cérémonie commémorative du bombardement atomique d'Hiroshima. John Roos, l'ambassadeur américain au Japon, se rendra sur le site - où quelques ruines ont été conservées en l'état pour perpétuer la mémoire du premier massacre nucléaire de l'histoire humaine -, afin d'y déposer une gerbe. À Washington, le département d'État (l'équivalent de notre ministère des Affaires étrangères) a précisé qu'il s'agissait d'«exprimer notre respect envers toutes les victimes de la Seconde Guerre mondiale».
Le 6 août 1945, sur ordre du président Truman, une forteresse volante de l'US Air Force largua une bombe atomique à l'uranium sur la ville industrielle d'Hiroshima, qui abritait l'état-major de l'armée japonaise. Trois mois après la capitulation allemande, le but était de faire capituler à son tour la dictature militaire nippone, qui avait agressé par surprise les États-Unis en décembre 1941, en détruisant la base navale de Pearl Harbour. La résistance désespérée qu'avait opposée, quelques semaines auparavant, l'armée japonaise lors de la conquête américaine des îles méridionales de l'Archipel (Okinawa), avait persuadé l'état-major de MacArthur qu'une invasion classique du Japon, menée à l'exemple de l'invasion de l'Europe après le débarquement en Normandie, ferait au bas mot un million de morts.
La fournaise et le souffle engendrés par l'explosion ne laissèrent pas âme qui vive dans un rayon de plus d'un kilomètre. 140.000 personnes y périrent, immédiatement, ou dans l'année qui suivit, des suites de leur exposition aux radiations. La très grande majorité d'entre elles étaient des civils. Quand elle parvint en Europe, la nouvelle n'émut personne, car y étaient déjà connues les atrocités commises par les militaires nippons à l'égard des peuples asiatiques qu'ils avaient soumis. La presse française titra sur l'«exploit scientifique» que représentait la bombe d'Hiroshima.
Les Américains n'ont jamais envisagé d'exprimer des excuses pour la destruction d'Hiroshima. Les historiens s'accordent pour dire que, sans elle, jamais l'empereur ne serait sorti de sa tour d'ivoire, pour ordonner - par un message radiodiffusé le 15 août - à ses soldats de cesser le combat, face à un adversaire à l'évidence beaucoup plus puissant qu'eux. Commencés en 1944, les bombardements classiques de Tokyo, qui provoquaient de gigantesques incendies dans cette ville aux maisons de bois, firent beaucoup plus de victimes que celui d'Hiroshima.
En revanche, le bombardement nucléaire de Nagasaki, effectué trois jours plus tard sur cette charmante ville portuaire du sud-ouest de l'Archipel, centre historique du christianisme nippon, est très difficilement justifiable. Était-ce par volonté d'expérimenter la bombe au plutonium, que les chercheurs américains avaient également mis au point? L'examen des archives n'est toujours pas concluant. En 1989, à l'occasion d'un reportage que nous avions effectué auprès des forces armées japonaises, un officier de presse avait justifié ce bombardement, par la nécessité que les Américains avaient de faire croire à leur ennemi qu'ils disposaient d'un large stock de bombes atomiques. Ce soldat nippon était-il sincère ou se contentait-il de répéter ses cours de l'école de guerre? Mais c'est un fait historique que l'occupation américaine du Japon se passa ensuite à merveille, et que la population de Tokyo se pressa dans les rues pour rendre hommage à MacArthur, lorsqu'il dut quitter son poste de proconsul, après avoir été limogé par Truman sur la question coréenne. Depuis 1955, les États-Unis et le Japon sont liés par un accord stratégique de défense mutuelle, équivalent de celui de l'Alliance atlantique pour l'Europe. L'Archipel demeure un allié indéfectible de l'Amérique en Asie. Et ce n'est pas la montée en puissance de la marine chinoise qui risque de changer cet état de fait.
Le geste américain symbolique de vendredi est évidemment dans le fil du discours tenu par Obama à Prague en avril 2009, où le président avait appelé à la construction d'un «monde sans armes nucléaires». Peu après, l'Amérique entama avec la Russie des négociations pour réduire d'un bon quart leurs stocks respectifs d'ogives nucléaires. Signé le 8 avril 2010, le traité Start 3 attend toujours sa ratification américaine, que le Sénat a repoussée pour sa session d'automne.
Personne ici ne doute de la sincérité de l'aversion du président pour les armes nucléaires. Mais Obama, qui assistera en novembre au forum de l'Apec à Yokohama, osera-t-il se rendre lui-même sur le site d'Hiroshima? Y exprimera-t-il quelque forme de regret? Nul ne le sait encore…
Source : LeFigaro.fr
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Ven 6 Aoû - 6:34