La menace du chaos a payé. Après 459 jours de crise, les interminables négociations politiques ouvertes en Belgique se sont soudain débloquées mercredi soir, avec un premier accord sur un sujet lourd de crispations communautaires. Tout n'est pas réglé pour autant. Mais l'espoir renaît de voir un gouvernement prochainement formé.
«Miracle», «historique», «jalon dans l'histoire communautaire belge» : la presse rivalisait de superlatifs jeudi pour qualifier l'accord arraché au forceps par le socialiste francophone Elio Di Rupo. «C'est une percée historique très importante», a affirmé le premier ministre Yves Leterme. En vingt-quatre heures, le pays a vécu un retournement de situation politique spectaculaire, passant du bord du précipice au déblocage.
Quinze mois après les élections, les huit partis autour de la table ont en effet trouvé un compromis inespéré pour scinder l'arrondissement électoral et judiciaire de BHV (Bruxelles-Hal-Vilvoorde), à cheval sur la capitale et la région flamande. Un casse-tête communautaire, qui fait de BHV le nœud gordien de la politique belge depuis près de cinquante ans.
La scission est une revendication flamande défendue au nom de l'homogénéité linguistique, et qui avait toujours échoué jusque-là, en dépit de diverses tentatives. En échange de cette concession, les francophones installés dans les six communes dites «à facilités» de la banlieue - où ils sont majoritaires - préservent certaines prérogatives, notamment la possibilité de voter pour des candidats bruxellois aux élections.
Si le compromis est un signal fort, «le travail est loin d'être terminé», ont averti les huit partis dans un communiqué. Il faut encore régler le dossier du financement des régions et celui du transfert de compétences, notamment en matière d'emploi et d'allocations familiales, qui est réclamé par la Flandre. Il faut aussi s'attaquer à un programme socio-économique qui rapproche des positions très divergentes, entre le nord conservateur et le sud où les socialistes sont en position de force. Un problème urgent à l'heure de la crise de la zone euro, les marchés demandant à tous un surcroît de rigueur.
Il faut aussi «vendre» l'accord à l'intérieur des différents partis, et surtout à ceux non représentés à la table des négociations. Cela concerne surtout les indépendantistes flamands de la N-VA, défenseurs d'une ligne dure depuis qu'ils sont devenus le premier parti du pays lors des législatives du 13 juin 2010. Son président Bart De Wever «faisait le pari d'un non-accord, et pour la première fois, il a perdu», notait jeudi l'éditorialiste du quotidien flamand Het Laatste Nieuws. Le parti a pour sa part regretté des concessions qui «vont beaucoup plus loin que ce que la N-VA a toujours trouvé acceptable». Au sud du pays, l'accord a également été rejeté par les Fédéralistes démocrates francophones (FDF), aile du parti libéral.
Car cet accord rebat aussi les cartes politiques. Le négociateur Elio Di Rupo en sort renforcé, ayant conduit de main de maître une forte dramatisation, opportunément précipitée par le retour en catastrophe du roi qui était en vacances et l'annonce du départ prochain d'Yves Leterme pour l'OCDE. Ses chances de devenir le prochain premier ministre devraient en être acrues. Ce serait la première fois depuis 1979 qu'un francophone prendrait les rênes du gouvernement et, dans un pays à 60 % néerlandophone, la mission serait semée d'embûches. «Les Flamands risquent de vivre cela comme une concession, qu'ils pourraient faire payer en ne lui laissant pas les coudées franches», estime le chercheur Xavier Mabille, président du Centre de recherche et d'information socio-politique.