Colère après le verdict du procès Moubarak

Des milliers de personnes ont manifesté samedi et dimanche sur la place Tahrir.

Un mémorial de fortune installé dimanche sur la place Tahrir en l'honneur des «martyrs», les 846 Égyptiens tués pendant la révolution. Tout autour, quelques centaines de manifestants. La veille, près de 20.000 personnes s'étaient rassemblées sur la place centrale du Caire pour protester contre le verdict du procès Moubarak. Parmi eux, Mustafa Abdel Fatah, venu du quartier populaire d'Imbaba: «Le sang des martyrs ne peut pas couler impunément. C'est impensable que la justice déclare que les chefs de la police sont innocents. Qui a tué les manifestants alors?»

Comme lui, de nombreux Égyptiens ont été scandalisés par le verdict rendu samedi dans le procès Moubarak. Accusé d'avoir joué un rôle central dans la répression sanglante des manifestations pacifiques de janvier 2011, l'ancien raïs a été condamné à la prison à vie, tout comme l'ancien ministre de l'Intérieur, Habib el-Adli. Mais six coaccusés, à la tête de différents organes de police à l'époque, ont été acquittés. Cinq d'entre eux devaient être libérés dimanche. Le juge Ahmed Refaat, en charge du procès, a mis en cause le «manque de preuves». «Il y a eu un conflit d'intérêts durant l'enquête criminelle, le ministère de l'Intérieur enquêtant sur sa propre police», souligne Karim Ennarah, de l'Initiative égyptienne pour les droits de la personne, une organisation de défense des droits de l'homme. Autre motif de colère pour les partisans de la révolution: les deux fils Moubarak, Alaa et Gamal, et l'homme d'affaires Hussein Salem, qui étaient accusés de corruption, ont été également blanchis, la cour jugeant qu'il y avait prescription, les faits en question remontant à plusieurs années. Pour couronner le tout, l'un des avocats de Hosni Moubarak a affirmé samedi que son client allait faire appel de sa condamnation et qu'il avait de bonnes chances d'être acquitté.

Demande de révision

Dès l'annonce du verdict, les Jeunes du mouvement du 6 Avril et les Frères musulmans ont appelé à manifester. Des milliers de personnes sont descendues samedi soir dans les rues du Caire, d'Alexandrie, de Suez… Hamdine Sabahi, le candidat nassérien troisième du premier tour de la présidentielle, a été accueilli en héros. «On sent que la révolution n'est pas morte en voyant tous ces gens à nouveau sur la place», estime Ahmed, un jeune ingénieur, qui croit à la possibilité d'un nouveau soulèvement. «Ils viennent ici comme à une fête foraine mais la révolution, c'est terminé», déplore au contraire Bola, un jeune activiste originaire du sud de l'Égypte. Dimanche soir, si le sit-in était maintenu à Tahrir, la mobilisation semblait déjà faiblir.

Les Frères musulmans tentent en tout cas d'exploiter les tensions provoquées par le verdict. «Si je suis élu, un nouveau procès aura lieu», a promis Mohammed Morsi, le candidat des Frères au second tour de la présidentielle, prévu les 16 et 17 juin. Mais les jeunes révolutionnaires et les libéraux sont nombreux à railler le soudain retour des Frères musulmans dans la rue alors que les islamistes n'ont que très rarement manifesté pendant l'année qui a suivi la chute de Moubarak.

De son côté, Ahmed Chafiq, le dernier premier ministre de Moubarak, qui va affronter Morsi, s'en est pris dimanche aux Frères musulmans lors d'une conférence de presse. «Ce sont les alliés de l'ancien régime, ils ont passé plusieurs fois des accords avec le régime déchu», a-t-il affirmé alors que lui-même est perçu comme le candidat de l'armée. Chafiq a assuré que les investissements étrangers reviendraient après son élection, jouant à nouveau sur l'aspiration à la stabilité des Égyptiens. «Si jamais il y a des affrontements en marge des manifestations à Tahrir, c'est Chafiq qui en profitera», estime Abdel Rahman Ayyash, un jeune chercheur en sciences politiques.

Difficile de dire pour l'instant lequel des deux finalistes va tirer profit du verdict. Le procès Moubarak pourrait réserver encore des surprises: le procureur général a fait appel hier des décisions de la cour criminelle du Caire, réclamant que le jugement soit révisé.