Le fléau est entré mardi dans la capitale, Port-au-Prince. Il a déjà tué 583 personnes.
L'odeur est toujours la même. Un mélange d'excréments et de chlore. C'est elle qui guide vers l'unité de traitement du choléra de l'hôpital de Mirebalais, où des corps contorsionnés et amincis s'entassent dans un espace réduit. L'épidémie qui frappe Haïti vide littéralement ses victimes de leur dignité. Ici, les adultes portent des couches et sont alités sur des planches à trous, pour laisser passer les selles et faciliter la tâche de leurs infirmières. Un vieil homme est attaché poings et chevilles à son lit pour l'empêcher de se débattre. Il est de toute façon bien trop faible maintenant.
Cela fait plus de deux semaines que les malades défilent dans cette petite ville centrale qui longe la rivière Artibonite. Peu après l'apparition des premiers cas en bas de la rivière, les prisonniers d'un pénitencier y sont tombéss malade et les autorités médicales ont vite pris conscience de l'ampleur du désastre : l'apparition de la maladie à Mirebalais, bien en amont des premiers cas, présageait une infection rapide des communes longeant le plus important fleuve d'Haïti.
La réponse des organisations humanitaires et des autorités de santé fut rapide. Les médecins étrangers, habitués à traiter le choléra en Afrique et en Asie, ont transmis leur savoir aux équipes haïtiennes. Des tonnes de solutions de réhydratation orale, de bouteilles d'eau, de savon et de chlore ont été livrées en urgence. Des volontaires furent envoyés dans la campagne, haut-parleur en main, pour alerter la population. Pendant dix jours, l'infection a été à peu près contenue dans les départements de l'Artibonite et du Centre. Il faut dire que l'armada de travailleurs humanitaires déployés sur Haïti depuis le séisme se préparait à une épidémie. Les conditions d'hygiène déjà déplorables, le manque de structures sanitaires - la majorité des réservoirs d'eau en Haïti ne sont pas traitées au chlore -, aggravés par la proximité des 1,5 million de réfugiés vivant dans des camps, rendaient Haïti terre fertile à la propagation rapide d'une maladie contagieuse.
Et puis Tomas a balayé la côte. Il n'a pas provoqué les dégâts humains - vingt et un morts - ou matériels que l'on craignait. Mais en inondant des villes déjà touchées par le choléra comme Gonaïves et Grande Saline, il a rendu à la maladie tout son élan. Des latrines aux égouts inondés, les eaux sales se sont mêlées aux propres. Tomas a joué les complices. L'épidémie a été libre de s'étendre vers le nord, jusqu'à Gros-Morne et Port-de-Paix, ou le travail crucial de sensibilisation des populations n'avait pas commencé.
Les autorités l'ont dit : quoi qu'il arrive, le choléra sera bientôt endémique en Haïti. Il s'agit de limiter les décès et de faire comprendre aux Haïtiens qu'il faut changer leurs habitudes d'hygiène.
C'est un travail de longue haleine. À Mirebalais, des femmes lavent toujours leur linge dans la rivière contaminée, juste sous la base des Casques bleus népalais qui sont suspectés d'avoir importé la maladie de leur pays natal. Des déchets humains venant de la base se seraient déversés dans la rivière. Les analyses conduites autour de la base n'ont pas révélé de traces du choléra selon le Center for Disease Control (CDC) américain, mais la souche est bien la même et les soupçons persistent.
Dans la commune de La Bastille, à quelques kilomètres de Mirabelais, un menuisier construit un cercueil sur le bord de la route. Il s'interroge. Un vieil homme est mort du choléra ce matin, et il aimerait savoir quel type de médicaments se procurer pour protéger sa famille. Il ne sait pas que la rivière est contaminée. L'ignorance est l'arme secrète de la maladie.
Mardi, l'épidémie a atteint Port-au-Prince, menaçant les quelque trois millions d'habitants de la capitale. Des analyses ont en effet confirmé qu'un enfant de 3 ans qui n'était pas sorti de la ville avait contracté la maladie. Plus de cent autres cas présumés de choléra concernant des habitants de Port-au-Prince étaient en cours d'analyse.
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Mer 10 Nov - 7:43
