Les 33 mineurs rescapés de San José et leurs fantômes

Assis dans un café du centre-ville, ses lunettes de soleil griffées «Los 33» vissées sur la tête, Carlos Barrios montre une mine enjouée. Le jeune homme désigne avec fierté la moto rouge garée sur la place. «Un des cadeaux à la sortie.» Il y a un an, Carlos était l'un des 33 mineurs chiliens extirpés de la mine San José, après soixante-neuf jours d'enfermement. Aujourd'hui, il se dit «reconnaissant à Dieu et aux sauveteurs qui nous ont sortis sains et saufs». Et content de participer aux célébrations de l'anniversaire de leur sortie. Pour l'occasion, une statue métallique géante offerte par la Chine sera inaugurée à l'entrée de Copiapó. Le gouvernement chilien a, lui, annoncé que les quatorze mineurs les plus âgés percevraient une pension à vie (350 euros par mois). Lorsqu'on l'interroge sur l'état psychologique des 33, le visage de Carlos s'assombrit. «Comme moi, beaucoup cherchent à le cacher, mais en fait on n'a pas encore surmonté tout ça.»

Selon le Dr Gillibrand, psychiatre de la mutuelle qui couvrait les travailleurs de la mine San José, un tiers des 33 va bien, un tiers moyennement et le dernier tiers, toujours en arrêt maladie, va mal. «Ce dernier groupe, de dix mineurs environ, souffre de stress post-traumatique. Ils sont anxieux, très nerveux. Ils s'emportent facilement, ont tendance à pleurer ou à s'isoler. Et ont des problèmes de sommeil.»

Les autres ne sont plus en arrêt maladie. Certains continuent de suivre un traitement psychologique à leurs frais, mais la majorité affronte seule les fantômes de la mine. «Un an après, je dors encore mal, pas plus de cinq heures par nuit, souligne Richard Villarroël, 28 ans. Surtout, l'enfermement m'a changé : je m'énerve vite, je n'ai pas de patience. Du coup, on se dispute souvent avec ma femme. Avant je n'étais pas comme ça.» Le Dr Gillibrand confirme : beaucoup de mineurs ont des problèmes familiaux. «Avoir approché la mort et senti la vulnérabilité de l'homme change la vision du monde et la façon de l'affronter. Cela complique le rapport à l'autre.» Des mineurs se sont séparés de leur compagne, d'autres ont rompu avec leur famille d'origine. Carlos Barrios, lui, assure avoir changé en mieux. «Avant je faisais la fête, je n'étais pas responsable. Maintenant, je m'occupe de mon fils et, chaque jour, je rends visite à quelqu'un de ma famille.»

Assis dans son modeste salon d'un quartier excentré de Copiapo, Osman Araya, 31 ans, dit aller bien. Mais il ajoute : «Notre problème, c'est qu'on ne trouve pas de travail. Les patrons de la région nous disent, non, tu as des problèmes psychologiques ; ou pourquoi veux-tu travailler si tu as tant d'argent ? Ils se trompent.» Des richesses que les médias leur avaient prédites, Osman Araya n'a vu que les 13.000 euros offerts par le milliardaire chilien Leonardo Farkas. Avec cet argent, il s'est acheté un camion de 3,5 tonnes pour vendre fruits et légumes. Mais ça n'a pas bien marché. Aujourd'hui, il est saisonnier dans les vignes ou conduit son camion pour une entreprise. «Quelques jours par-ci, par-là. À peine de quoi payer les factures.» Richard Villarroël, mécanicien, se débrouille, lui, en réparant des voitures de particuliers. Comme Carlos Barrios, il transporte aussi des passagers dans son «taxi pirate». Un an après, la majorité des 33 n'a pas d'emploi stable. «On a tous voyagé aux quatre coins du monde (États-Unis, Israël, Grèce…). Mais au retour, il n'y a rien à mettre dans la casserole», dit Osman.

Il en est malgré tout qui s'en sortent mieux. Ils tirent des revenus d'interviews ou de conférences données au Chili et à l'étranger. Mario Sepulveda, l'hyperdynamique du groupe, a même créé sa propre agence. Mais les espoirs d'argent et de célébrité ont aussi fait des dégâts. «Les liens entre les 33 ne sont plus les mêmes, dit Osman, amer. Certains ne me saluent que s'il y a des caméras.» Quant à Edison Pena, après avoir fait fureur dans des shows télévisés, ce fan d'Elvis qui courait dans les galeries de la mine vient d'entrer en centre de réhabilitation pour lutter contre son addiction à l'alcool et aux drogues.

J'ai pu voir aux infos à la télé.

On ne sort pas indemne d'une telle catastrophe! C'est vraiment d'une grande tristesse!