Le système électoral incite les partis à enrôler des candidats farfelus, pourvu qu'ils soient populaires.
Une mèche blanche soigneusement coiffée déborde de son bob bariolé. Même en costume cravate, Francisco Everardo Oliveira da Silva, 45 ans, garde une allure de clown. Il la cultive, même. Tiririca -«le ronchon», en argot portugais-, comme on l'appelle, a fait de sa profession d'amuseur public l'argument de sa candidature au Parlement. Dimanche, les Brésiliens ne vont pas seulement choisir un successeur à Luiz Inacio Lula da Silva. Ils doivent aussi renouveler l'Assemblée nationale et les deux tiers du Sénat et désigner les gouverneurs et les députés des vingt-sept États fédérés.
Pour séduire les électeurs, le clown a deux slogans : «Tiririca, avec lui, ça ne peut pas être pire» et «Savez-vous à quoi sert un député fédéral? Moi non, mais votez pour moi, je vous raconterai !». Et ça marche: son clip de campagne, en ligne depuis un mois, a déjà été vu quatre millions de fois. L'institut de sondages Datafolha calcule qu'il pourrait attirer 900.000 voix dans l'État de Sao Paulo, où il se présente, devenant ainsi le député le mieux élu de tout le Brésil.
Tiririca n'est pas le seul candidat «exotique» à prétendre légiférer à Brasilia. L'ex-champion du monde de football Romario, auteur de plus de mille buts, brigue un siège sous l'étiquette du Parti socialiste brésilien (PSB). Le PTN (Parti travailliste national) fait encore mieux: il présente Suéllem Rocha, mieux connue sous le surnom de «femme poire». Qualifiée, sur le site du parti de «splendide brune aux yeux bleus et au corps sculptural, de 22 ans à peine», la jeune femme reconnaît ne faire campagne qu'en minijupe ou microshort -«C'est mon style pour attirer des voix». Seule l'actrice porno Cameron Brasil parvient à être explicite. Elle aussi candidate du PTN à Sao Paulo, elle est ravie de raconter que son numéro pour le vote dans l'urne électronique est «1969».
La motivation de leur candidature est évidente: tous voient dans l'exposition électorale, accentuée par la curiosité des médias, une façon de relancer leur carrière. Romario vient de prendre sa retraite du ballon rond, et Tiririca a de plus en plus de mal à faire rire.
«Aspirateur à voix» «Mais il ne suffit pas de vouloir être candidat, il faut aussi trouver un parti qui vous accueille», souligne Stéphane Monclaire, politologue à la Sorbonne (Paris-I) et spécialiste du système électoral brésilien. Au Brésil, tout candidat doit avoir reçu d'un parti le droit de se présenter. De surcroît, il faut être membre de ce parti au moins un an avant la date du scrutin. «La présence de ces candidats n'est donc pas le fruit d'un coup de sang, mais bien une opération planifiée», poursuit l'universitaire.
Selon le système électoral brésilien, le nombre de sièges emportés par chaque parti est le résultat de la somme des voix obtenues par les candidats et de celles qui se sont portées sur le parti (l'électeur peut choisir une de ces deux formes de vote), le tout divisé par le nombre de sièges impartis à l'État. Concrètement, si un candidat rassemble un grand nombre de voix, il permettra à son parti d'obtenir au terme de ce calcul un plus grand nombre de sièges. Au Brésil, on appelle cela un «puxador de voto», un «aspirateur à voix». Si Tiririca attire 900.000 électeurs, le Parti de la République (PR) devrait élire au moins quatre autres députés, quel que soit leur résultat. Investir sur lui est donc rentable. La campagne du clown, qui se dit sans le sou, a coûté 260.000 euros. «Notre principal critère pour le choix des candidats, c'est leur popularité», reconnaît José Masci de Abreu, le président du PTN, dans un entretien au site d'informations Folha Online. Il admet que la «femme poire» ignore tout du Parlement, mais promet de «lui donner un cours» si elle est élue.
«Lors de la dernière législature, 16% des députés ont atteint le quotient électoral. Tous les autres leur doivent leur siège», remarque Stéphane Monclaire. En clair, près de 85% des députés ne siègent pas du fait de la volonté populaire, ce qui discrédite un Parlement déjà perçu comme inutile et corrompu, et renforce le vote protestataire, que les clowns prétendent capter.
La réforme électorale est une des grandes lacunes du gouvernement Lula, qui assure qu'une fois redevenu simple citoyen il se battra, à la tête du Parti des travailleurs (PT), pour la mettre en œuvre. Convaincre les députés de modifier la Constitution en introduisant, par exemple, le vote de liste, n'est pourtant pas si simple: cela reviendrait à scier la branche sur laquelle ils sont assis.
Invité !.gif)
Ven 1 Oct - 6:55
