La sécurité sur les paquebots
Isabelle Chagnon
Édition du samedi 28 et du dimanche 29 avril 2007
Le Devoir.Com
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Photo: Agence France-Presse
Le mois dernier, le Congrès américain entendait la Cruise Line International Association (CLIA) défendre ses compagnies de croisière membres sur l'aspect sécurité des passagers et des membres d'équipage à bord des gros paquebots. Plaidoyer extraordinaire? Peut-être de routine, du moins dans ce type de registre. Ce face-à-face semble s'être inscrit dans les mesures tricotées serré entreprises par les États-Unis en matière de sécurité pour ses citoyens à la suite des actes terroristes survenus sur son territoire, des mesures destinées
dans ce cas-ci à des passagers qui deviennent en quelque sorte des clientèles captives propulsées en haute mer.
La CLIA a souligné au Congrès que «les gens sont de loin plus en sécurité à bord d'un paquebot que dans pratiquement n'importe quelle communauté aux États-Unis, et ce, bien qu'il puisse arriver, en de rares occasions, des incidents».
Tout comme l'industrie du transport aérien, celle des croisières se base sur des statistiques pour clamer son profil hautement sécuritaire. À ce chapitre, le 27 mars dernier, le Federal Bureau of Investigation (FBI) déposait un rapport dans lequel un tableau est dressé sur les crimes commis à bord de paquebots au cours des cinq dernières années, du moins ceux rapportés au FBI: de 2002 à février 2007, 184 crimes sont survenus sur des navires appartenant à des compagnies de croisière de plaisance enregistrées aux États-Unis. De ce nombre, 84 (46 %) impliquaient des employés d'équipage en tant que suspects.
Dans 55 % des cas, les crimes ont été de nature sexuelle (la majorité en cabine privée, la moitié sentait l'alcool et 37 % de ces cas impliquaient des employés en tant que suspects). Quarante (22 %) des 184 crimes rapportés étaient des agressions physiques autres que sexuelles (principalement des agressions entre hommes et dans tous les lieux publics imaginables sur un paquebot).
Dans ce registre sont comprises les 12 disparitions signalées (cinq cas découleraient d'un abus d'alcool et quatre d'un suicide) et les 13 morts déclarées à bord d'un paquebot (au moins deux seraient des homicides -- un assassin s'est déclaré coupable dans un des deux cas -- et les autres sont toujours en cours d'investigation).
L'exposé de la CLIA a mis en perspective le nombre des crimes qui surviennent à bord -- nombre qui, selon les registres du FBI, est en hausse -- versus le nombre de passagers qui prennent part à une croisière chaque année. Il serait honnête de statuer que, toutes proportions gardées, les crimes sont assez rares (184 en cinq ans, pour quelque 12 millions de passagers par année).
En préparation de son amerrissage à Washington pour cet entretien officiel, l'association émettait du même coup un avis destiné aux intervenants en voyage, spécialement ceux ayant un contact direct avec le consommateur. On y stipule notamment que «dans le cas d'un incident, le croisiériste prend toutes les allégations et tous les faits très au sérieux, rapporte ceux-ci aux autorités compétentes concernées et coopère pleinement à toute investigation».
Les «autorités compétentes concernées»? «Which one, when and how? That is the question», disait récemment Christopher Shays, un membre du Congrès, en se prononçant sur les disparitions de passagers. «Les voyages en haute mer propulsent les passagers et les membres d'équipage dans un environnement à la fois isolé et lointain. Et, pour cette raison, tous se retrouvent obligatoirement dans une position de vulnérabilité et tous s'exposent à des risques», ajoutait-il.
«La problématique repose également sur l'aspect économique», soulevait récemment Jim Santini, l'homme de droit de la National Tour Association et lobbyiste de l'industrie américaine du voyage depuis des années, au cours d'une entrevue réalisée par l'éditeur du magazine américain Travel Trade (
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] «Certes, les compagnies
de croisière, comme tous les acteurs de l'industrie du voyage, doivent mettre en place des procédures en matière de sécurité. Mais celles-ci ne doivent toutefois pas avoir un impact négatif sur l'économie de l'industrie», ajoutait M. Santini.
À ce sujet, même avec des incidents et des crimes tels que ceux mentionnés, les adeptes des croisières n'ont probablement rien à craindre; de toute évidence, toutes les instances détenant un quelconque pouvoir de dicter une conduite à cette industrie des croisières carburent actuellement à plein régime sur le dossier.
L'industrie des croisières serait susceptible d'ébranler considérablement la réputation des États-Unis si un incident à grand déploiement survenait. D'une part, bon nombre de gros croisiéristes, même s'ils sont d'origine autre qu'américaine, sont enregistrés aux États-Unis pour des raisons de fiscalité; d'autre part, imaginez le coup d'éclat si une attaque terroriste jetait son dévolu sur un paquebot de 3400 passagers et 2000 membres d'équipage.
Le secteur des croisières est également dans la mire de la haute sécurité parce qu'elle procure des milliards de beaux dollars aux States (32,4 milliards $US dans l'économie états-unienne uniquement en 2005), des emplois à des milliers d'Américains (130 000 seulement en Floride, l'un des États phares pour les croisières) et des appuis décisifs aux politiciens...
Quel croisiériste est le mieux préparé en cas de crime? Depuis trois ans, le FBI mandate la division de Miami de son Evidence Response Team (ERT) pour donner des séances d'entraînement continu aux capitaines et responsables de la sécurité à bord des paquebots de la Carnival Cruise Lines et de la Royal Caribbean International. Au menu de la formation: préservation d'une scène de crime à des fins d'investigation et d'enquête, survol général de contre-terrorisme dans une perspective maritime et techniques de base d'entrevues dans le but de récolter des renseignements.
Aussi, le FBI a récemment mandaté la division de Tampa de sa ERT pour inculquer ses notions d'investigation à la Disney Cruise Lines. Le FBI prévoit, «in the near future», le même traitement pour la compagnie Princess Cruise Lines. Pour les autres, le FBI monte actuellement une présentation PowerPoint sur le sujet...
Collaboration spéciale